La chanteuse a décroché trois récompenses à la cérémonie des Flammes hier soir, équivalent des Victoires de la musique pour le rap et ses courants. Depuis ses débuts en 2014, Aya Nakamura s’est imposée dans un monde qui ne lui laissait pas sa place.
Majestueuse dans un manteau en fourrure blanche, longs faux ongles et démarche assurée… Aya Nakamura débarque sur la scène des Flammes dans un tonnerre d’applaudissements. Elle repart triplement sacrée des récompenses artiste féminine de l’année, album de nouvelle pop et rayonnement international.
À 28 ans, la chanteuse française la plus écoutée du monde écrase logiquement la compétition. “Une véritable et première diva de la culture populaire”, assure Mia, 31 ans. Elle était présente au show d’Aya Nakamura, qui a ouvert le bal hier soir. “L’opening des Flammes était complètement dingue, visuellement beau. Un vrai coup de génie”, raconte la jeune femme, la voix cassée d’avoir trop chanté.
Aya Nakamura aime le répéter : “Il n’y a aucun hasard”. Du haut de ses 18 ans, il a fallu s’imposer dans une industrie musicale largement dominée par les hommes, en particulier dans le monde du rap. C’est justement ce défi qui la motive. “J’ai grandi sans aucune icône féminine noire française. Il est temps de changer cela”, déclare-t-elle au New York Times en 2019. Pari réussi.
Femme, noire, et de banlieue
Toute petite, elle et sa famille quittent le Mali pour s’installer à Aulnay-sous-Bois. Fille de parents griots, elle est bercée par les chants traditionnels de sa mère. Mais la musique n’est pas tout de suite une évidence. “Je faisais des études de mode à la Courneuve. Je voulais être modéliste, raconte-t-elle au journal Le Monde en 2017. Mais cela a cessé de me plaire. Alors j’ai chanté.”
Alors qu’on lui remet la Flamme de l’artiste féminine pour la seconde fois, Aya Nakamura souligne : “Être artiste féminine, et noire, et qui vient de banlieue, c’est très difficile. Je sais d’où je viens, et je sais que j’en ai inspiré plus d’une.” C’est le cas de Lucie, 25 ans. Elle a assisté hier soir à la performance de l’artiste, en ouverture de la cérémonie : “Elle dégage de l’énergie et de la puissance qui me donnent envie de danser et chanter de toutes mes forces ! Je l’ai vu trois fois sur scène et je pourrais la revoir encore plein de fois pour le plaisir et l’assurance que ça me procure.”
Aya Nakamura cumule aujourd’hui plus de 6 milliards d’écoutes depuis ses débuts. Elle n’a que 19 ans quand elle s’associe au rappeur Fababy pour un titre qui deviendra un hit. “Love d’un voyou” cumule aujourd’hui plus de 90 millions de vues sur YouTube. Sa popularité décolle. En 2017, elle sort son premier album Journal intime, dans lequel elle confie ses rêves de petite fille. Les titres “Brisé”, “Oublier” et “Comportement” étendent son succès à un public plus large.
Mais à cette époque, on est encore loin du succès actuel : le clip d’ “Oublier” reste le moins regardé de toute sa chaîne YouTube, avec 7,5 millions de vues. C’est en 2019, à la sortie de son deuxième album, Nakamura, que le phénomène Aya prend une toute autre ampleur. “Djadja” devient le hit de l’été, et culmine désormais à près de 960 millions de vues sur YouTube. “Ce prix, il est pour toutes les re-noi, pour toutes les filles qui nous regardent. On vient de loin”, rappelle la chanteuse dans son discours des Flammes.
Une musique populaire et éclectique
Si la musique d’Aya Nakamura est aussi populaire, c’est en partie parce que ses textes parlent à tout le monde. Elle chante l’amour, le flirt et l’amitié sur des mélodies entraînantes, héritées du R&B et de l’afropop. Ses paroles en français – souvent en verlan – sont ponctuées d’expressions empruntées à l’anglais, l’arabe et au bambara, la langue malienne de ses parents. Un mélange éclectique qui permet à sa musique de dépasser les frontières et de conquérir les cœurs en Afrique de l’Ouest et dans toute l’Europe. Elle collabore avec plusieurs artistes africains, comme la chanteuse nigériane Ayra Starr le mois dernier.
“Son langage est brut, sincère et pur”, affirme le créateur Simon Porte Jacquemus, qui habille régulièrement Aya Nakamura pour ses apparitions publiques. “Il s’adresse à toute notre génération, que nous soyons hommes ou femmes, noirs ou non”, ajoute-t-il.
L’interprète de “Djadja” est souvent perçue comme un symbole de “girl power”. Dans les cortèges des manifestations #NousToutes, des pancartes affichent “Y’a pas moyen Djadja”, en référence au titre dans lequel l’artiste repousse un homme qui lui court après. Et pourtant, la musique d’Aya Nakamura ne parle jamais de politique. En 2019, dans une interview donnée au New York Times, elle se dit tout de même “heureuse” que ses chansons puissent parler d’elles-mêmes.
Alors qu’elle est pressentie pour chanter du Édith Piaf à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris, Aya Nakamura devient un sujet médiatique et de récupération politique par l’extrême-droite. Une vague d’attaques racistes qui entraîne dans la foulée l’expression d’un immense soutien, bien au-delà de ses fans.
La musicienne, elle, a refusé toutes les interviews et ne s’est que très succinctement exprimée sur les réseaux sociaux. Une discrétion que Mia admire : “Ce qui me séduit le plus chez, c’est qu’elle ne donne jamais l’heure aux fachos, aux racistes ou aux médias qui s’acharnent.” Sur la scène du théâtre du Châtelet, l’artiste a tout de même fait référence à ses détracteurs : “Merci pour tout l’amour, tous les messages et tout le soutien malgré les polémiques et les critiques”.
“Aya Nakamura est une étoile brillante pour d’innombrables jeunes, soutenait l’icône de la musique malienne Oumou Sangaré il y a cinq ans. Et les étoiles brillantes dérangent toujours les gens.”
La polémique n’enlève rien à sa gloire, bien au contraire. Son retour remarqué l’été dernier a porté ses fruits : son album DNK, reprenant les lettres de son vrai nom de famille Danioko, lui a donné un disque de platine. “Moi, c’est le haut niveau”, entonne-t-elle dans un titre de l’album.