Condamnation de Papacito : le droit protège-t-il suffisamment ses élus de la haine en ligne ?

Papacito a été condamné à verser 6 000 euros de dommages et intérêts à l’élu d’une commune du Tarn-et-Garonne qu’il avait attaqué dans les vidéos de sa chaîne YouTube. Les maires sont souvent la cible de ces influenceurs d’extrême droite dont les propos déchaînent leurs communautés en ligne.

Adèle Lebrun

Papacito a été reconnu coupable d’injures publiques homophobes et de « provocation non suivie d’effet à une atteinte volontaire à la vie aggravée ». ©Capture d’écran de la chaîne YouTube de Papacito.

Le YouTubeur d’extrême droite Papacito a été reconnu coupable d’injures publiques homophobes et de « provocation non suivie d’effet à une atteinte volontaire à la vie aggravée », ce vendredi 26 avril. Il a été condamné à 5 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel. C’est notamment une vidéo où il mettait en scène une chasse une mascotte de fouine, pour ensuite tuer le faux animal et simuler son viol, qui a retenu l’attention du tribunal.

Cette fouine représentait le maire d’un village du Tarn-et-Garonne, Christian Eurgal, que Papacito accuse de « corruption ». Cette vidéo, ainsi que d’autres ciblant le maire, ont été vues plusieurs centaines de milliers de fois, suscitant une vague de cyberharcèlement… qui est allée jusqu’à se concrétiser par des tags sur les édifices de sa communes. L’élu, ainsi que d’autres associations qui s’étaient constituées parties civiles lors du procès, bénéficieront de 6 000 euros de dommages et intérêts.

Les maires, cibles privilégiées

Les édiles sont une cible récurrente des campagnes de harcèlement en ligne à l’initiative des sphères d’extrême droite. Le maire de Grande-Synthe, Martial Beyaert, a annoncé mercredi 24 avril avoir déposé plainte « suite aux attaques subies par des groupuscules d’extrême droite ». À l’origine du harcèlement, la mort d’un jeune homme de la commune, qui a fait l’objet d’une récupération politique par l’extrême droite. Depuis, le maire reçoit des menaces quotidiennes.

La maire écologiste de Besançon, Anne Vignot, a porté plainte deux semaine plus tôt pour cyber harcèlement. Elle dit « avoir subi un harcèlement ciblé et coordonné d’une extrême violence sur les réseaux sociaux ». Elle avait dénoncé deux militantes du collectif d’extrême droite Némésis qui avaient brandi des pancartes associant les migrants à des violeurs lors du carnaval de la ville.

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L’année dernière, c’était le maire de Saint-Brévin qui faisait l’objet d’une vaste campagne de harcèlement orchestrée par l’extrême droite. Sa maison avait été incendiée. Un centre d’accueil de demandeurs d’asile était au cœur des récriminations.

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Des dispositions juridiques déjà protectrices des édiles

Les affaires de diffamation et d’injure sont jugées en droit de la presse – qui est compris dans le droit pénal –, car elles ont affaire avec la limite entre liberté d’expression et infraction punissable. « Les décisions pénales rendues sur ces sujets doivent être historiques, pour envoyer un signal fort », déclare Octave Nitkowski. Cet avocat spécialisé dans le droit de la presse, juge que reconnaître la culpabilité d’une personne comme Papacito, en soi, est déjà un avertissement « fort ».

Depuis l’affaire Mila en 2021, cette jeune fille qui avait subi des vagues de haine sur les réseaux sociaux, le droit a évolué pour prendre en compte les nouvelles formes de harcèlement. « Avant, le harcèlement était caractérisé lorsqu’une personne réitérait des faits, maintenant, une personne peut n’avoir envoyé qu’un seul message, mais dès qu’elle a conscience de participer à un mouvement de meute, ce sera considéré comme du harcèlement », explique Octave Nitkowski.

« Tout est déjà dans le droit, ça ne sert à rien d’inventer de nouveaux délits », poursuit-il, catégorique. La diffamation publique peut faire encourir à ses auteurs une amende de 12 000 euros, et jusqu’à 45 000 euros et un an d’emprisonnement si les caractères racistes, antisémite ou sexistes sont retenus. En particulier, les peines pour délits d’injure et de diffamation sont aggravées lorsqu’elles touchent des élus.

L’anonymat, frein à la lutte contre la haine en ligne

Par ailleurs, les élus bénéficient d’une protection fonctionnelle qui leur permet que leurs frais d’avocats soient pris en charge. « Ça facilite la réponse des maires »,souligne l’avocat. Il s’était positionné contre une disposition du projet de loi SREN (sécuriser et réguler l’espace numérique) qui entendait allonger le délai de prescription spécifiquement pour les faits touchant les élus et les candidats à des fonctions électives. Le délai de prescription est de trois mois actuellement pour les délits de diffamation et d’injure, les députés souhaitaient l’allonger à un an. « Ça aurait compliqué le droit inutilement », explique Octave Nitkowski.

« Le problème aujourd’hui, ce ne sont pas les moyens juridiques, c’est la question de l’anonymat sur les réseaux sociaux », dénonce Loraine Gay, avocate spécialiste du droit de la presse. Concernant les délits commis en ligne, l’article 60-1-2 du Code de procédure pénale établit que l’anonymat ne peut être levé que si le délit prévoit une peine d’emprisonnement d’au moins un an. « Or, les délits du droit de la presse ne prévoient presque jamais des peines d’emprisonnement », déplore-t-elle. Elle plaide pour un assouplissement de la levée de l’anonymat.

Octave Nitkowski dénonce par ailleurs le temps, trop long, de la justice : « Ça donne une impression d’impunité », reproche-t-il. Et, entre temps, les accusés réitèrent souvent les faits pour lesquels ils se retrouvent devant le juge. Même après leur condamnation. « C’est comme Dieudonné : sa condamnation ne l’a pas empêché de recommencer à des nombreuses fois et d’être abonné à la 17e chambre [chambre du tribunal correctionnel chargée des affaires du droit de la presse, ndlr] », reconnaît le jeune avocat.