Le mouvement de soutien à Gaza prend de l’ampleur dans les universités, à l’instar de Sciences Po. Mais exprimer une voix de solidarité avec la Palestine dans les établissements d’enseignement supérieur peut s’avérer compliqué.
Par Nils Leprêtre
Des tentes à l’intérieur de Sciences Po Paris. S’inspirant des mouvements américains de soutien à Gaza, des étudiants de la rue Saint-Guillaume ont occupé leur université le 24 avril. Ils ont été évacués dans la nuit par les CRS, appelés par la présidence de l’Institut d’études politiques. Le 25 avril, rebelote. Et le lendemain matin, le site historique de Sciences Po Paris était bloqué.
« On bénéficie d’une couverture médiatique qui nous donne une responsabilité supplémentaire de nous faire entendre », explique Jeanne*, étudiante en master 1 de droits humains et action humanitaire à Sciences Po. Elle poursuit : « D’autres universités suivent ces initiatives quand elles voient la réception médiatique. L’objectif est que le mouvement ne reste pas confiné à Sciences Po. » Mais il n’est pas simple d’exprimer sa voix sur la Palestine au sein du prestigieux établissement.
L’administrateur provisoire Jean Bassères, en fonction depuis à peine un mois, a été nommé à la suite de la démission de Mathias Vicherat, renvoyé devant la justice avec son ex-compagne pour des faits de violences conjugales. Dans le communiqué annonçant sa nomination, était précisé qu’il veillerait au « retour à la sérénité des débats à Sciences Po Paris ». Selon nos confrères du Monde, sa feuille de route lui a été largement dictée par le premier ministre Gabriel Attal, pour qui Sciences Po suivrait « une forme de pente, de dérive, liée à une minorité agissante et dangereuse ». S’il n’est pas explicitement nommé, le Comité Palestine Sciences Po est clairement visé.
« Le gouvernement a peur de l’image renvoyée à l’international »
L’intervention des CRS pour déloger les étudiants a d’ailleurs été validée par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau. « L’administration a franchi une ligne en termes de pression », alerte Jeanne, et rappelle qu’il est « très rare que la police soit autorisée à intervenir à l’intérieur de l’enceinte ». L’étudiante a participé au début de cette action mais est partie juste avant que les forces de l’ordre bloquent toutes les entrées du bâtiment.
Elle dénonce une « violation des libertés académiques » et l’impossibilité de s’exprimer sur ce sujet, avec des menaces d’ouverture de procédures disciplinaires après « toutes les actions ». « J’apprends en cours les principes du droit international mais quand il s’agit de les mettre en œuvre et d’en discuter dans un cas concret, ça n’est plus possible », constate-t-elle au sujet des interdictions de conférence. Et justifie le choix de l’occupation des locaux : « Face à tant de répression et de silence, on ne peut qu’être disruptifs pour nous faire entendre. »
Pour Clémence*, étudiante en master de politiques publiques à l’université Paris Dauphine, et membre du Comité Palestine de la faculté, la mobilisation est particulièrement difficile à Sciences Po. « Le gouvernement réprime énormément le mouvement parce que c’est une école d’élite et ils ont peur de l’image que ça renvoie à l’international. »
Mais à Paris Dauphine, il n’est pas beaucoup plus simple de se mobiliser. Le 22 avril, la présidence de l’université a décidé de ne pas autoriser une conférence de Rima Hassan, juriste franco-palestinienne et candidate aux européennes sur la liste insoumise, et Ivar Ekeland, ancien président de Dauphine et président de l’AURDIP (Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine). Ils avaient été invités par le Comité Dauphine Palestine. Dans un mail adressé au comité, que nous avons pu consulter, le président El-Mouhoub Mouhoud justifie cette interdiction par le « risque de trouble à l’ordre public » dans le « contexte international et national actuel particulièrement tendu ».
Marwane* est étudiant en master mathématiques à Paris Dauphine et membre du Comité Palestine. « L’université a le sentiment qu’un conflit est en train de s’inviter dans la fac, affirme-t-il, mais c’est un discours en décalage avec ce que notre génération pense. On n’en est plus à dire que le conflit israélo-palestinien est quelque chose de brulant auquel il ne faut pas toucher, on veut agir à notre échelle, c’est-à-dire l’université. »
« Faire vivre le débat suppose qu’il soit protégé »
L’étudiant dénonce une attaque aux libertés fondamentales. « On m’a dit toute ma vie que l’université était un lieu de débat et d’ouverture sur le monde. J’ai grandi avec le mythe de la liberté d’expression », raconte-t-il. Aujourd’hui, il a l’impression que c’était « juste un mensonge ».
Face à ces accusations, les universités réagissent. 70 présidents d’établissements d’enseignement supérieur ont publié le 25 avril une tribune dans le Monde : « Les universités ne doivent pas être instrumentalisées à des fins politiques ». « Faire vivre le débat suppose qu’il soit protégé », poursuivent-ils, en défendant l’autonomie des universités, des « bastions démocratiques ».
« Qu’ils laissent faire des conférences et des débats des deux côtés », propose Marwane, pour qui l’université est justement « le lieu le plus propice à la discussion et à la confrontation des idées ».
*Les prénoms ont été modifiés
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